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La Vire
Un cours d'eau
Une beauté à nos portes
Ce n'est pas du joli...joli
Quel gachis
L'aide des spécialistes
De l'espoir
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Des problèmes sur la Vire ? connais pas !

On connaît la Vire pour l'étendue de ses eaux calmes : ses biefs, sur les bords desquels on peut flâner au gré du chemin de halage. Vous la pratiquez parce qu'elle offre l'opportunité de pêche au coup ou bien pour ses carnassiers, bien sûr. On vient de découvrir qu'elle accueille toujours bon nombre de grands migrateurs, mais pas comme on l'imaginait. Il restait quelques mystères que l'on sonde au moyen de nouveaux outils mis à notre disposition. Cette apparente quiétude autour des aménagements qui ont en un temps enrichis le Val de Vire cache pourtant l'appauvrissement de ce milieu aquatique contraint. Les indigestions estivales de la rivière sont là pour nous alerter. Elles sont le symptôme de déséquilibres profonds, le résultat d'un « tout », qui méritent d'être expliqués.

 

Qui est la Vire ?

 

- Son physique

Elle prend sa source à Chaulieu, dans le département de l’Orne, à une altitude de 305 mètres et parcourt une distance de 120 km pour se jeter dans la Baie des Veys.

Son bassin versant s'étend sur une superficie de 1 240 km² dont 484 km² appartiennent au Calvados. L’élevage bovin laitier y domine avec les cultures de maïs fourrage. Les autres secteurs économiques s’établissent autour des centres urbains de Vire et de Saint-Lô.

Son cours est encore barré par 24 barrages, 10 dans le département du Calvados et 14 dans celui de la Manche.

Les débits d'eau y sont très contrastés au cours de l’année. La moyenne annuelle s'établit à 13 m3/s. En étiage (périodes de basses eaux), il ne s'écoule que 0,8 m3/s. A la période des hautes eaux (au printemps et en automne), il passe une moyenne de 264 m3/s en crue trentenale (débit observé lors de la crue de janvier 1995) et on estime que le chiffre de 330 m3/s peut être atteint en crue centennale. Il peut s'écouler dans la Vire un débit 300 fois plus important en période de crue qu'en étiage, caractéristique qui correspond à un régime torrentiel. C’est une donnée fondamentale qui va gouverner la vie de ce cours d’eau.

- Sa petite histoire, il était une fois,

L’histoire locale a eu de profondes répercussions sur le fonctionnement de la Vire. Dès le Moyen Age, les pierres destinées à la construction d’églises et d’édifices civiles, les meules de moulins, étaient transportées par voie navigable sur les principales rivières du Cotentin. Depuis le XVème siècles, Saint-Lô possédait un « Quai à Vin ».

Le barrage de Porribet et l’écluse des Claies de Vire ont été aménagés entre 1833 et 1839. La chenalisation fut poursuivie de 1848 à 1861 de Saint-Lô à Pont-Farcy. Ces aménagements ont été réalisés par monsieur Alfred Mosselman (1810-1867) qui s’est occupé successivement du Canal de Vire-et-Taute et de la chenalisation de la Vire inférieure, puis du canal de Coutances et de la chenalisation de la Vire supérieure. Monsieur Mosselman dirigea, entre autres activités, l’exploitation des carrières de pierre à chaux de la Meauffe et de Cavigny.

La navigation fluviale permettait de transporter de la tangue et de la chaux (57 % du tonnage transporté) pour l’amendement des terres, des matériaux de construction (37 %) et des denrées et objets divers (6 %). En 1881, le trafic atteignait 93 000 tonnes. Il descendit à 53 000 tonnes en 1905. La Vire fut rayée de la nomenclature des rivières navigables par le décret-loi du 28 décembre 1926.

En Centre Manche, on connaît bien le patrimoine hérité des activités économiques empruntant la Vire ; qu'il soit bâti, avec les écluses, ou paysager, avec la chenalisation qui a profondément remodelé son lit. Ces travaux ont été réalisés pour la navigation fluviale, elle aura duré moins d’une centaine d’année. On méconnaît souvent le patrimoine naturel, qui fut avant la navigation source de richesse pour la vallée.


 

Le cours d’eau, c’est quoi cette bête-là ?

C’est un peu de mécanique,

De la source à la mer, certains paramètres morphologiques tendent à croître : le lit du cours d'eau s'élargit et devient plus profond ; la surface du bassin versant qu'il draine augmente ainsi que le débit. D’autres diminuent : la pente diminue en même temps que l'altitude ; la vitesse du courant et la granulométrie suivent la réduction de la pente.

L'évolution du relief et de la nature des sols font apparaître sur la rivière une alternance de petites zones morphodynamiques dont le courant et la hauteur d'eau sont homogènes : succession de pools (zones calmes et profondes) et de radiers (zones courantes). Leur fréquence s'espace à mesure que l'on se rapproche de l'estuaire. Au gré de la diversité des vitesses de courants, il se crée un système d'érosion/sédimentation qui façonne la forme du cours d'eau dans sa longueur, dans sa largeur et dans sa profondeur.

avec beaucoup de chimie

Les paramètres physico-chimiques évoluent aussi d'amont en aval : l'eau se réchauffe ; elle s'enrichit de matières organiques et minérales que lui amènent le ruissellement diffus des parcelles en berge et ses affluents, ainsi que la dissolution de la roche sur laquelle elle s'écoule ; l’oxygène dissous du cours d’eau, consommé par la matière organique, diminue.

on mélange,

Concrètement, sur le terrain, on passe de ruisseaux frais et oxygénés, dévalant rapidement les pentes sur du gros cailloutis, à de larges bras où l'eau plus ou moins trouble et colorée, chemine en courants lents sur des limons, avant de rejoindre la mer.

et la vie naquit.

La distribution des peuplements animaux et végétaux, dans un cours d’eau, suit ces évolutions physico-chimique et morphologique. En fonction de leur capacité d'adaptation et de leurs besoins, les espèces colonisent les différentes zones qui se succèdent le long du cours d'eau.

Ainsi, les éléments qui constituent un système aquatique s'imbriquent les uns par rapport aux autres pour former une organisation naturelle.

Cette mosaïque se retrouve chez les poissons. C'est ce qui permet de différencier les zonations piscicoles des cours d'eau :

  • Zone à truite
  • Zone à ombre
  • Zone à barbeau
  • Zone à brème

selon le modèle de classification de Huet, en 1949 (Voir figure ci-dessous).Profil de HUET

Depuis cette classification, des études plus fines ont permis de discerner 9 grands types de zones de peuplements homogènes entre la source et l'estuaire sur les cours d'eau d'Europe occidentales (Classification de Verneaux, 1976). Elles sont caractérisées par des espèces dites « repères » parce qu'on les retrouve presque systématiquement dans la zone concernée quel que soit le cours d'eau (exemple : chabot pour les ruisseaux, truites fario et vairon pour les petites rivières froides, brochet pour les grands cours d’eau de plaine, …). Elles vivent avec un cortège d'autres espèces qui peuvent varier selon les régions et les conditions, celles-là sont dites « accompagnatrices ».

Les pêcheurs connaissent bien le classement des cours d'eau en 1ère et 2ème catégorie. Il s'agit de limites administratives, et cette simple organisation reste très réductrice d'un point de vue écologique. Dans la réalité, le remplacement des grandes unités de peuplement se produit de manière très progressive : chaque zone identifiable chevauche celle qui la suit.

Retenons que dans un cours d'eau, chaque espèce occupe une place déterminée par les conditions de son proche environnement et par ses besoins et qu'elle y a un rôle à tenir. « De la source à la mer, la rivière change et ses poissons aussi. Même si beaucoup d'espèces sont dotées d'une grande capacité d'adaptation, la plupart ne prospère vraiment que dans un lit, des berges et une qualité d'eau qui correspondent à leurs besoins ». Quand ces conditions sont satisfaites, le cours d'eau est dit en équilibre : la biodiversité est maximale, sa capacité d'accueil est saturée, le recrutement nécessaire est assuré.

- A retenir

La présence naturelle d'une espèce est dictée par les paramètres régnant dans le milieu ; de la présence et de l'abondance de chaque espèce (pas seulement piscicole), normalement présente dans le milieu, dépend l'équilibre du peuplement.


- Une beauté à nos portes

- Une chirurgie esthétique sur la Vire actuelle

Appliquons ce qui précède à la Vire en effaçant, mentalement, ses barrages. Qu'obtient-on ?

Rapidement, le lit du cours d'eau se reconstitue principalement par ses propres moyens : grâce à sa pente et aux forces qu'il récupère. Les pentes moyennes s'accroissent, puisque l'on regagne les hauteurs de chaque déversoir de barrages. Par exemple, entre Vire et Pont-Fracy, la pente passe de 5 pour mille à 10 ‰ et entre Pont-Farcy et Saint-Lô : de 0,3 ‰ à 2,3 ‰. Le cours d'eau reprend une morphodynamique équilibrée, avec une belle alternance de ses faciès (pools/radiers) c'est à dire une structure naturelle.

- Un nouveau corps, des copains nouveaux

Dans ces conditions, les espèces suivent le mouvement et elles reprennent leur place attribuée au sein de l'écosystème.

Elles recolonisent leurs habitats originels. La limite entre la première et la deuxième catégorie piscicole pourrait probablement être déplacée au niveau de Saint-Lô.

- Des saumons, des truites, des lamproies, des aloses

Les saumons, les truites, les lamproies et les aloses pourront à nouveau utiliser les têtes de radiers et/ou de rapides pour leur frais dès l’amont de Saint-Lô. Les tacons (juvéniles de saumon) s'établissent, quant à eux, un ou deux ans sur les radiers puis dévalent vers l'estuaire, avant la mer. La Vire redevenue naturelle accueillera de plus grands effectifs de poissons migrateurs.

- Des brochets et sa clique (perches, carpes, brêmes, gardons, …)

La zone de prédilection du brochet resterait le secteur des marais, mais il serait encore abondant au-delà de Saint-Lô, présent tant qu'il trouve des zones calmes entre les radiers. En amont de la confluence avec l'Hain, on assiste à une montée en puissance de la truite et de ses comparses.

- … et la Vie est belle

On obtient donc sur ce petit fleuve l'addition de deux grands systèmes s'enchaînant de manière cohérente, abritant une variété de peuplement plus équilibrée. Cette situation, connue il y a encore un siècle et demi, offrirait une grande diversité de pêche dans un milieu dit conforme, c'est-à-dire qui se « débrouille » tout seul pour produire ses poissons en quantité satisfaisante.

Le paysage de la Vire, en amont des marais, se met à ressembler à celui de la Sée… en plus vaste !

Ce système fonctionnel, en équilibre, permettrait aussi une nette amélioration de la qualité de l’eau car sa pleine capacité d’autoépuration lui serait rendue.


- Pour l’instant, ce n’est pas du joli, joli

- Un physique balafré

Redressons maintenant les 24 ouvrages hydrauliques dont 8 utilisés pour la production d’électricité. Que se passe t-il ?

On crée de grands réservoirs d'eau calme (biefs) séparés entre eux par le reliquat des zones à salmonidés.

- Des brochets partout pareils

Il est estimé avec la méthode de calcul utilisé pour la réalisation du PDPG (voir partieV.3) que le brochet peut vivre dans ces milieux en plus grand nombre que sur les radiers originels. En fait, ces vastes volumes d'eau stagnante et relativement pauvres en abris ne sont pas capables d'accueillir plus d’individus que les fosses et les plats courants naturels qu’ils remplacent.

En revanche, la capacité de recrutement y est toujours très insuffisante : il est très difficile pour notre espèce de trouver des zones inondées à la saison de reproduction. La Vire coule dans une vallée encaissée dont la pente est relativement importante et la nature de son sous-sol entraîne un rythme de crues et de décrues trop rapide. Lorsque les zones propices existent, elles sont très difficiles d'accès pour ce poisson, du fait de la canalisation du lit mineur (berges abrupts, bourrelets). Le drainage agricole, la destruction des haies bocagères et l’imperméabilisation des sols urbains et périurbains accroissent la violence et la soudaineté des crues. Les barrages écrêtent les niveaux d'eau, ce qui réduit encore la durée de submersion des prairies humides nécessaires à la reproduction.

Le problème est à peu près similaire pour le poisson fourrage.

- Des migrateurs pas si heureux dans la Vire manchoise

- Une pénurie de lits douillets pour les géniteurs

La mise en place des biefs sur la Vire a eu pour conséquence immédiate d'ennoyer une grande partie de leurs zones de reproduction (radiers) qui constituent également la zone de croissance des tacons. Ces derniers s'établissent un ou deux ans sur les radiers avant leur migration de dévalaison vers l'estuaire et la mer.

La quantité de jeunes salmonidés produite sur un bassin versant est proportionnelle à la surface favorable qu'il offre. On peut facilement calculer la quantité de juvéniles qu'un cours d'eau peut produire en recensant l'ensemble des zones propices (les radiers, les rapides et pour une plus faible part, les plat courants). Chaque année, la fédération conduit en partenariat avec le CSP une campagne régionale d'indices d'abondances en juvéniles de saumon : il s'agit de pêches électriques avec un protocole spécifique aux saumons de moins d'un ans, pour estimer ce qui a été produit. On a pu constater qu'en moyenne plus de 80 % des tacons étaient produits dans le Calvados, le reste dans la Manche : la colonisation de l'espèce sur le bassin tient principalement des productions annuelles réalisées dans le réseau de ruisseaux de la Haute Vire. Cela rend la réussite des reproductions très vulnérable aux accidents climatiques (sécheresses printanières et estivales) puisque les petits systèmes sont les premiers à s’assécher.

La forte régression des surfaces favorables à la reproduction sur la Moyenne Vire, résultant de la mise en bief et de la canalisation, a amputé d'autant le retour en géniteurs. Le cours principal de ce tronçon, malgré sa longueur et sa largeur, ne représente que 21 % des surfaces favorables totales. Ce chiffre correspond à un retour théorique de 81 adultes sur les 380 estimés sur l'ensemble du bassin versant.

En 2002 et 2003, les remontées comptées à l'observatoire des Claies de Vire furent de 240 et 166 géniteurs de saumons. Ces chiffres sont à comparer à ceux de la Sée où il est estimé un retour de 1 200 poissons, et plus en réalité.

- Du sport, encore du sport, ça fatigue !

Même équipé d'une passe fonctionnelle, un barrage entraîne un retard à la migration : difficulté plus ou moins grande pour trouver l'entrée, conditions ne permettant pas toujours la fonctionnalité du système installé (arbres, branches bloquant la sortie de la passe). Pour les migrateurs, la Vire a fait l'objet d'un classement au titre de l’article L. 432-6 du Code de l’environnement, par le décret du 23 février 1924. Cette obligation légale prévoit que «]…[ tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. L’exploitant de l’ouvrage est tenu d’assurer le fonctionnement et l’entretien de ces dispositifs ». Le manque d’entretien des passes à poissons est puni d’une amende de 12 000 euros (article L.432-8 du Code de l’environnement).

Il en résulte une diminution de fréquentation des frayères et une dépense énergétique supplémentaire pour le passage, préjudiciable aux reproductions.

Prenons le cas de l'alose qui est un nageur peu endurant : une partie des géniteurs remontant dans la Vire se retrouve forcée de frayer dans le dernier radier en aval du barrage de Saint-Lô, très difficilement franchissable pour l'espèce. Environ 2 000 aloses, recensées aux Claies de Vire, s’y rendent chaque année. Les couples se succèdent sur la frayère à la période de reproduction de mai à juillet.

- Petit deviendra grand, quoique

Les juvéniles salmonidés pénètrent dans les biefs au moment de leur migration de dévalaison. Un certain temps leur est souvent nécessaire pour trouver le chemin de la sortie, durant lequel ils sont relativement vulnérables aux carnassiers postés dans ces eaux calmes et contre lesquels ils ne sont pas adaptés, car ils dévalent en surface et ont les flancs clairs.

Les microcentrales encore fonctionnelles qui ne pratiquent pas le chômage nocturne font courir un risque supplémentaire aux juvéniles, s'ils passent dans les turbines. Une étude commandée par la DDAF 50, sur la base d'un diagnostic des installations de la Vire et d'un modèle de simulation théorique éprouvé, a estimé qu'en moyenne 16,2 % de la production de smolts était perdue de la sorte.



- Quel gâchis

Le brochet et ses espèces accompagnatrices ne devraient pas être le peuplement dominant en amont de la confluence avec l’Hain. Il y croit actuellement au prix d'aides coûteuses au soutien d'effectifs alors que la Vire Aval reste sous-exploitée pour le brochet par manque de frayères accessibles. Le maintien de barrages inexploités empêche également la colonisation naturelle, par l'aval, du carnassier; mais surtout il gâche un potentiel salmonicole précieux et largement aussi valorisable en terme de pêche sportive.

- Allo docteur, c’est grave ?

Les biefs ont modifié le peuplement piscicole naturel de la Vire. D’autres conséquences de la présence des retenues artificielles, et pas des moindres, sont de rendre l’écoulement de l’eau lent et de faire se déposer les sédiments transportés par le fleuve. On trouve ici la source des problèmes aujourd'hui visibles dans le fonctionnement de la rivière : proliférations brutales et massives d’algues planctoniques, réchauffement de l’eau et perturbation de la dynamique fluviale.

- De l’eau, il fait chaud

Dans les retenues de la Vire, l'écoulement lent associé à l'élargissement artificiel du lit mineur entraîne un ensoleillement estival intense, l'eau se réchauffe. Cette augmentation de la température peut nuire aux poissons de manière directe. Les salmonidés sont très sensibles à ce paramètre : les températures supérieures à 20°C leur sont inconfortables, et les valeurs au-dessus de 25°C sont létales. Pour le brochet, en milieu naturel, les températures peuvent commencer à être mortelles à partir de 29°C. (Voir figure ci-dessous)

Les facteurs limitants

La Direction Départementale de l’Equipement (DDE) de la Manche, Service Maritime et Aéroportuaire (SEMA), Cellule Qualité des eaux mesure la température sur la Vire. Du 10 au 15 août 2003, la température a varié entre 25 °C et 29,3 °C.

- Vite, du bouche à bouche

Le bloom algal, le développement excessif d’algues, sur la Vire, est dû à des espèces microscopiques et en suspension. Le phénomène résulte d'un dysfonctionnement dans la chaîne alimentaire du cours d’eau, qui en quelque sorte "s'emballe". L’échauffement estivale de l’eau permet alors le déclenchant d'un développement rapide de végétaux comme le phytoplancton et les algues (premier maillon de la chaîne alimentaire).

Sur le bassin versant, les activités humaines sont sources d'apports excessifs en nutriments (nitrates, phosphates, …) ; cet excès est responsable du caractère massif de la production de ces algues : elles se mettent à recouvrir la totalité de la surface du cours d’eau. Pour l’anecdote, c'est ce phénomène qui s’est produit le 24 septembre 2004 à Saint-Lô, quand les pompiers ont été appelés pour une pollution par "de la peinture verte"!

Ce bloom algal peut entraîner des mortalités de poissons. Cet effet est dû au fonctionnement des végétaux qui, le jour, rejettent de l’oxygène et consomment du gaz carbonique (c'est la réaction de photosynthèse) ; par contre la nuit ils rejettent uniquement du gaz carbonique et consomment l’oxygène dissous de l’eau : ils continuent de respirer. La masse d’algues vivantes peut alors faire baisser le taux d’oxygène dissout vers des valeurs proches de zéro. La mortalité des poissons peut se produire en fin de nuit. Pour éviter ces risques, la DDE, SEMA ouvre les écluses en amont de Saint-Lô ce qui permet l’évacuation des algues au moment de la chasse.

Néanmoins, les espèces piscicoles sont soumises à un stress physiologique qui accroît leur sensibilité aux maladies et aux parasitismes.

- Une cure d’amaigrissement pas très efficace

Les barrages perturbent également l’écoulement naturel des matériaux transportés de la Vire. Le charriage de ces matériaux dissipe une partie de l'énergie de la rivière, mais lorsqu'un barrage survient, ce mouvement s'interrompt. En aval, le cours d’eau possède une force supplémentaire qui va prélever des matériaux sur le fond ou sur les berges pour retrouver l’équilibre entre la force de l’eau et la quantité de sédiments transportés.

La Vire est une succession de barrages, les sédiments se retrouvent donc bloqués en permanence. Le fleuve doit solliciter ses berges sur ses portions courantes entre les biefs. La chenalisation réduit encore cette érosion, mais le phénomène est plus sensible sur les secteurs où le fleuve jouit d'un plus grand degré liberté. A Cavigny, au lieu-dit le Bahais, il trouve certainement une zone de prélèvement de matériaux, et des travaux de réduction d'un méandre sur ce site ont été réalisés pour protéger la route de sa divagation. Le déplacement du lit d'une rivière est une composante normale de son évolution, mais sur un système en équilibre, il est lent et le terrain conquis par une rive est rendu à l'autre, de sorte que la largeur change peu.


- Des spécialistes au chevet de la Vire

Des documents réglementaires mettent l’accent sur les perturbations du milieu aquatique de la Vire et des moyens à mettre en œuvre pour améliorer la situation. Ce sont :

- L’Europe

La Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, dite Directive cadre sur l’eau (DCE). La France est actuellement engagée comme les autres Etats membres de l’Union européenne dans une démarche de planification de la gestion des eaux, définie par la loi n°2004-338 du 21 avril 2004 portant transposition de cette directive. Ainsi elle travaille sur la mise en place des outils pour atteindre le bon état écologique des cours d’eau en 2015. Cependant pour certains cours d’eau fortement modifiés par l’homme, les objectifs fixés de 2015 peuvent être moins exigeants lorsque les coûts sont disproportionnés. Ces cours d’eau sont classés masse d’eau fortement modifiée (MEFM). Des reports d’échéance (2021 puis 2027) peuvent aussi être envisagés pour des raisons économiques ou techniques.

Hormis dans sa partie aval, la Vire, dans le département de la Manche, est classée naturelle. Notamment la partie allant de la confluence de la Drôme, en amont de Pont-Farci jusqu'à la confluence avec le ruisseau du Saint-Martin, en aval des Claies de Vire, sur la commune de la Méauffe. Cette partie de la Vire est appelée administrativement " la masse d'eau HR317 ".

Les perturbations répertoriées sont d’ordre hydromorphologique à cause du problème de cloisonnement des milieux par les barrages et du problème de l’intégrité physique du lit et des berges par la chenalisation. Pour 2015, le bon état chimique de l’eau (respect des normes de qualité environnementale) devra être atteint. Le bon état écologique ne le sera pas. Il faudra atteindre le bon potentiel écologique, c’est-à-dire ce qui correspond au bon état d’une masse d’eau qui présente les mêmes caractéristiques hydromorphologiques que celle qui a été modifiée. A noter que le classement en masse d’eau fortement modifiée doit faire l’objet d’une justification économique : si les coûts (de toute nature) associés aux modifications sont plus importants que les bénéfices qu’on en retire, la renaturation du cours d’eau peut être exigée.

- L’Etat

Le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie approuvé le 20 septembre 1996 par le Préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie. Dans son chapitre 1 sur la gestion globale des milieux aquatiques et des vallées, il donne des orientations sur :

  • La restauration des la fonctionnalité de la rivières et de ses annexes (orientation B.2 : respecter la dynamique fluviale et favoriser, dans les travaux la diversité des milieux aquatiques – réduire le cloisonnement des cours d’eau)
  • La restauration du patrimoine biologique (orientation B.4)
  • La gestion des ouvrages hydroélectriques et des barrages (orientation B.5). Il est indiqué, entre autres, : « sur les axes migrateurs d’intérêt majeur, il y a lieu de s’orienter vers le non renouvellement des concessions pour lesquelles les conditions de migration ne sont pas satisfaites et vers la remise en cause des autorisations d’exploitation non utilisées pendant une durée importante … ».

- La Fédération de la Manche pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (FMPPMA)

Le Plan Départemental pour la Protection du milieu aquatique et la Gestion des ressources piscicoles de la Manche (PDPG) signé par le Préfet de la Manche, le Président du Conseil Général de la Manche et le Président de la Fédération de la Manche pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique en octobre 2001. Après une phase d’évaluation des atteintes des milieux aquatiques, le PDPG définit des objectifs et des moyens pour réduire ou supprimer les différentes perturbations.

Pour la Vire Moyenne, par rapport à la problématique de sa chenalisation et de ses barrages, l’action définie est la renaturation du cours principal de la Vire par la suppression des barrages (5 à 10) « pour qu’au moins la moitié de cette section de la Vire retrouve des habitats naturels ».

- L’Association Agréée pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques (AAPPMA)

Les nouveaux statuts des Associations Agréée pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques (AAPPMA) ont été signés par le président de l’AAPPMA et les préfets du département en 1997 (ceux de l’AAPPMA « les Pêcheurs à la ligne de Saint-Lô » l’ont été le 2 mai 1997 par le président de l’AAPPMA et le 30 juillet 1997 par le Préfet de la Manche).

Ils précisent dans son titre II, l’objet de l’association. Ainsi, l’association doit « participer activement à la protection des milieux aquatiques et de leur patrimoine piscicole, en particulier : par la lutte contre le braconnage et par la lutte contre la pollution des eaux ou toutes autres causes qui ont pour conséquence la destruction, la dégradation des zones essentielles à la vie du poisson » (article 5 2°), « organiser la surveillance, la gestion et l’exploitation équilibrée de ses droits de pêche dans le cadre des orientations départementales de gestion piscicole des milieux aquatiques portées à sa connaissance par la fédération départementale » (article 5 3°) et « effectuer , sous réserve des autorisations nécessaires, toutes les interventions de mise en valeur piscicole » (article 5 4°).

Le titre III présente les obligations statutaires. Dans son article 8, « l’association est tenue d’élaborer, de mettre en œuvre, en conformité avec les orientations départementales de gestion, un plan de gestion piscicole prévoyant les mesures et intervention techniques de protection, d’amélioration et d’exploitation équilibrée des ressources piscicoles de ses droits de pêche ».


- De l’espoir

Les 24 barrages infligent des impacts majeurs sur l’écosystème du fleuve la Vire : modification des peuplements piscicoles, diminution du patrimoine piscicole, voire mortalité piscicole due au dysfonctionnement dans la chaîne alimentaire (bloom algal).

Cependant, des programmes européens, national, départemental et local vont mettre en place des moyens pour reconquérir une bonne qualité du patrimoine naturel.

Sera-t-elle atteinte sans une réflexion sur la suppression des barrages inutiles ou nuisibles ?

L’enlèvement des obstacles sur la Vire ne doit pas être vécu comme une fatalité mais synonyme d’une prise de conscience générale d’une amélioration de la qualité de nos milieux aquatiques.

Fabien GOULMY - FMPPMA - (Chargé de mission Agent Technique de l’Environnement)

Thomas GUILLOR? - (C.S.P - Brigade de la Manche)

Bibliographie :

Atlas des poissons d’eau douce de France – Philippe KEITH et Jean ALLARDI (COORD.) – Museum National d’histoire Naturelle- 2001

Lacs et rivières milieux vivants – Gérard LACROIX – Bordas – 1991

Le Bassin de la Vire – Réalisation d’un état des lieux sur la gestion des eaux – Phase 1 : Synthèse des connaissances disponibles – SAGE, ValVire Leader 2, AESN – avril 1998

Bassin de la Vire – Evaluation des capacités de production en salmonidés migrateurs – FMPPMA, AESN, Conseil Régional de Basse Normandie, CSP – Août 2000