Les maresY'en a marre des mares !

De l'impact de la multiplication des plans d'eau sur la qualité des eaux courantes et du milieu aquatique en général


Problématique

Il est permis à tout un chacun de creuser sa propre pièce d'eau. Selon sa taille, la création sera libre, soumise à déclaration auprès des services chargés de la police de l'eau, ou devra faire l'objet préalable d'un dossier d'autorisation plus long et plus contraignant.

Si cette gradation du contrôle par le législateur se comprend aisément d'un point de vue de la sécurité public (risque de rupture) et paysager, en revanche les modifications écologiques générées par ces mares et étangs, même de taille modeste, sont mal connues ou mal interprétées et donc non maîtrisées.

Le sujet mérite un développement approfondi pour battre en brèche certaines idées reçues.

Fabien GOULMY - FDPPMA 50

 

Historiquement

Au Moyen-Âge, les moines creusèrent des bassins pour faire l'élevage, principalement de carpes, et c'est ainsi, du reste, que la bestiole est arrivée chez nous. Jusqu'au début du XXème siècle, des lavoirs bâtis en dérivation, en rive ou dans les cours d'eau retinrent suffisamment d'eau claire pour le linge de nos aïeuls. Ce n'est que récemment que le monde rural s'est mis à négliger ces dépressions plus ou moins aménagées dans les terrains de pâtures ou en bordure de chemins. Elles étaient destinées à capter un peu de l'eau de sources pour permettre l'abreuvement du bétail ou le puisage de l'eau potable après maçonnage de fontaines. Certains de ces réservoirs existent toujours, leur vocation a changé, leur mode de gestion également. Ce qui était bon à l'époque ne le serait plus aujourd'hui ?

 

Définitions

Les mares sont de petites étendues d'eau de faible profondeur (généralement moins d'un mètre), souvent implantées de longue date et munies de berges en pente douce. Leur vocation n'est pas piscicole, même si elles restent en eau toute l'année, au contraire des flaques. Comme ces dernières, elles sont particulièrement propices à la vie des batraciens (grenouilles, crapauds, salamandres et tritons). Leur présence n'est pas problématique, bien au contraire, leur abandon est très préjudiciable à la biodiversité aquatique de nos régions. Cet article ne vise pas ces petits systèmes patrimoniaux.

Les étangs se définissent comme des plans d'eau peu profonds, susceptibles d'être colonisés par les végétaux sur l'ensemble de leur surface, à la différence des lacs, qui possèdent une zone pélagique (zone centrale où la végétation fixée ne peut plus coloniser) et une structuration verticale (différents étages, en fonction de la température, de la pénétration de la lumière). Une autre grande différence avec les lacs est que les étangs naturels sont rares, car appelés à un comblement rapide par accumulation de sédiments (tourbière, marais). La plupart de ces systèmes sont donc des créations de l'Homme (Xème, XIème et XIIème siècle, par nos moines du début). L'objectif était la production de poissons ; ils sont peu profonds : environ 80 cm, rarement plus d'1 m à la bonde, pour favoriser la production secondaire (en gros, les végétariens) et le poisson. L’usage peut également être avicole (gabions, plan d’eau d’agrément paysagers de parcs).

Plusieurs configurations peuvent se rencontrer, selon l'implantation de la pièce d'eau et ses relations avec le milieu naturel avoisinant. Deux grands types sont retenus par la législation, une où la loi pêche et la loi sur l’eau s’appliquent, ce sont les eaux libres ; l'autre où seule la loi sur l’eau est opposable, les eaux closes. Cette distinction recèle des fondements écologiques et permet l'application des textes.

 

Eaux closes

Pièce d'eau n'ayant aucune communication avec une rivière ou en communication par une liaison ne permettant pas en permanence la vie du poisson. La présence de grilles, que se soit en amont du plan d'eau ou à l'exutoire, n'est pas nécessaire ni suffisante à la qualification d'une eau close.

 

Eaux libres

Pièce d'eau en communication avec un cours d'eau, que ce dernier soit pérenne ou temporaire.

Trois cas principaux :

  • Plan d'eau de barrage, c'est à dire que le cours d'eau l’alimentant le traverse.
  • Plan d'eau en dérivation du cours d'eau. Il peut court-circuiter la rivière qui l'alimente par le captage d'une partie de son débit (aspect réglementé), ou être alimenté par des sources captées et restituer le débit en aval par un ruisseau.
  • Enclos piscicoles et piscicultures : plan d'eau en dérivation du cours d'eau dont les prises d’eau, le cas échéant, et les rejets sont filtrés par des grilles sensées bloquer toute migration pisciaire.

 

Impacts sur le milieu aquatique

Thermique

En offrant à l'insolation directe une vaste surface d'eau stagnante de faible profondeur, les plans d'eau constituent une source de réchauffement important de l'eau, qui en s'écoulant vers la rivière ou le ruisseau récepteur du trop plein, vont lui infliger un impact thermique significatif. A petite échelle, cet impact est d'autant plus important que les pièces d'eau sont étendues, ont des berges dégagées et sont implantées dans un environnement géomorphologique propice à l'exposition : forme de la pièce, orientation cardinale, position par rapport aux reliefs avoisinants, exposition aux vents. A grande échelle, le réchauffement général des eaux courantes croîtra avec la densité d'étangs présents sur le bassin versant.

Matières en suspension

Qu'il soit alimenté de manière autonome, par des sources, ou par le débit d'un cours d'eau, un plan d'eau est le réceptacle de fines organiques ou minérales, qui lui sont apportées par

  • Le ruissellement des terrains dont il est le point bas.
  • La sédimentation des particules fines charriées par les cours d'eau affluents.
  • La décomposition ou la minéralisation de la matière organique produite sur son pourtour et en son sein : feuilles d'arbres, végétaux aquatiques, microorganismes benthique (sur le fond) et planctoniques (dans la masse d'eau), macrofaunes aquatiques (oiseaux, poissons, mammifères, insectes, mollusques…)

On imagine souvent qu'un plan d'eau sédimente tout un tas de particules, agissant en cela comme un lagunage. Cela est en partie vrai, il les concentre aussi, et puis, enfouies dans le fond, nos matières organiques peuvent trouver des voies moins saines pour leurs dégradations : sans oxygène, c'est l'anaérobie : la fermentation, oups... On envisage également moins les perturbations que produisent les vidanges, dont le résultat pour le milieu qui les reçoivent est un flux massif de vases, plus ou moins contrôlées selon qu'elles soient inopinées ou dans le cadre d'un entretien régulier. Les conséquences sont alors tragiques : désoxygénations qui peuvent être fatales à la vie aquatique le temps du passage du flux, colmatage des substrats pierreux en aval, notamment des zones de frayères à salmonidés, qui sont alors rendues stériles. Remise en solutions de xénobiotiques (tout ce qui est chimique et qui est toxique : pesticides, métaux…) qui empoisonnent le cours d'eau.

De manière chronique, les effluents de mares à canards et d'étangs en bordure de cours d'eau et à fortiori au fil de l'eau, sont source de MES qui perturbe durablement le milieu courant. Ces exports sont d'autant plus importants que :

  • L'exutoire se fait de manière directe
  • Le plan d'eau abrite des poissons fouisseurs (type carpes, tanches) et des palmipèdes qui entretiennent une turbidité importante de l'eau.

 

Nutriments et xénobiotiques

Par nutriments, on entend les molécules assimilables par les producteurs primaires (végétaux) pour leur développement. C'est l'azote (nitrite et nitrate) et le phosphore minéral (orthophosphates). Ils s'accumulent dans les plans d'eau par voie de minéralisation du phosphore organique (provenant des déjections et de la décomposition des organismes morts) et de la décantation des arrivées du bassin versant.

Les xénobiotiques regroupes toutes les molécules susceptibles d’être assimilées par un organisme vivant et d’engendrer un effet toxique, immédiat ou différé. Citons par exemple les métaux lourds et les phytosanitaires.

Des changements brutaux dans la physico-chimie de l'eau d'une pièce d'eau, les pollutions d'origine externe, une canicule, les variations de pH, peuvent provoquer un épisode de "relargage", c'est-à-dire une remise en suspension ou en solution de substances nocives (cas souvent rencontré avec les métaux lourds) et engendrer des pathologies et des mortalités.

 

Espèces invasives, liste non exhaustive…

Ecrevisses exotiques

Aujourd'hui, on trouve en France sept espèces d'écrevisses. Trois sont autochtones : l'écrevisse pieds blancs Austropotamobius pallipes autrefois la plus courante dans les cours d'eau du département ; l'écrevisse pattes rouges Astacus astacus dont l'aire de répartition se situe plus dans l'Est de la France et l'écrevisse de torrents Austropotamobius torrentium quasi disparue. Quatre espèces exotiques ont été introduites pour leur plus grande résistance et leurs croissances rapides. Une est turque, l'écrevisse à pattes grêles Astacus leptodactilus et trois sont américaines : L'écrevisse rouge de Louisiane Procambarus clarkii, l'écrevisse Américaine Orconectes limosus et l'écrevisse Signal ou de Californie Pacifastacus leniusculus.

Contrairement aux autochtones, qui ont un besoin vital d'eaux fraîches, oxygénées et exemptes de toute pollution, les espèces exotiques s'accommodent de milieux plus divers, parmi lesquels les plans d'eau, où on les retrouve après leur introduction volontaire ou leur colonisation progressive. Leur présence est partout déplorable, car elles évincent les espèces autochtones, par compétition interspécifique (main basse sur les ressources alimentaires, sur les habitats, prédation) et parce que les trois espèces américaines sont porteuses saines de maladies, dont la peste de l'écrevisse, qui décime les populations autochtones qui y sont exposées. A ce titre, ces trois indésirables sont classées juridiquement "susceptibles de provoquer des déséquilibres écologiques", tout possesseur d'une carte de pêche a le droit de les pêcher toute l'année, mais il lui est interdit de les relâcher après capture ou de les transporter vivantes.

Jussie

Deux espèces présentes en France : Jussie à grandes fleurs Ludwigia uruguyayensis, et la jussie rampante Ludwigia peploides. Apportées d'Amérique du sud pour leur qualité ornementale à la fin du XIXème siècle. Plantes amphibies à rhizome, fleurissant jaune, elles peuvent ramper sur les berges ou les prairies humides. La forme aquatique est élective des eaux stagnantes à faiblement courantes, dans des lames d'eau jusqu'à 3 mètres. Leurs grandes capacités d'adaptation leur ont permis de coloniser le sud ouest et l'ouest de la France, fermant complètement certains cours d'eau ou pièces d'eau. Les tiges sont détruites par le gel et les graines sont réputées ne pas pouvoir germer au nord de la Loire. Mais les grandes capacités de bouturage de fragments de tiges et la résistance du rhizome doivent pousser à la plus grande prudence. Proscrivons son introduction dans quelque milieu que ce soit.

Myriophylle du Brésil

Originaire d'Amérique centrale et subtropicale Myriophyllum aquaticum a été introduite pour usage paysager. Elle est déjà signalée envahissante au début du siècle au nord de Bordeaux. Avec ses grandes capacités d'adaptation, elle se répand dans les milieux stagnants ou à faibles courants, dans des eaux bien éclairées et ensoleillées à une profondeur maximum de 3 mètres. Elle présente une grande tolérance vis-à-vis de la minéralisation et du pH. La température optimale de développement est comprise entre 20°C et 25°C. Sa reproduction s'effectue par graine et par bouturage (fragment). Elle gène la pêche et la navigation et étouffe la végétation autochtone, participant ainsi à la banalisation des écosystèmes.

Renouée du Japon

Reynoutria japonica ou Fallopia japonica. Autre plante d'ornement introduite et propagée pour sa valeur paysagère, affectionnant les bordures de rivières et plan d'eau. Plante pionnière se satisfaisant de sols pauvres, elle est très compétitive sur les sols nus, fraîchement débroussaillés, les éboulis de pierres récents, les remblais. Elle occupe rapidement tout l'espace disponible empêchant l'implantation des espèces locales et/ou évince les autres types de végétations herbacées et arbustives, passivement par son rythme de croissance et l'ombrage inhospitalier que son feuillage dense provoque, et activement par l'émission de substances provoquant des nécroses aux racines des plantes avoisinantes. Elle appauvrit alors grandement le biotope du secteur (victimes : avifaune, faune terrestre, insectes, cortège végétal) rendu monotone. En berge, elle réduit la fonction de zone tampon jouée normalement par une ripisylve normalement structurée, sans fournir un soutien de berge efficace, eu égard son maigre système racinaire périphérique. Le massif implanté se développe par un réseau très dense de rhizomes, et l'espèce colonise de nouveaux milieux en disséminant ses graines via le réseau hydrographique. Un exemple est visible sur les berges de la Vire en aval du barrage de Saint-Lô.

Les plans d'eau constituent dès lors des milieux à risques, à plusieurs titres. Nouvellement creusés, leurs berges peuvent être colonisées par la renouée, accidentellement (arrivée de graines par l'amont, rhizomes dans la terre de remblai… ou sciemment plantée.

Une fois en place, elle va prospérer, sera très difficile à déloger et répandra bientôt des graines qui dévaleront par l'exutoire ou le trop plein, vers l'aval du bassin versant.

Téléostéens

Les gestionnaires de plans d'eau sont souvent tentés d'introduire des espèces exotiques pour leur capacité d'adaptation et leur croissance. On peut ainsi facilement se fournir en Silure glane Silurus glanis, poisson chat Ictalurus melas, perches soleil Lepomis gibbosus et autres… Ces espèces font peser une lourde menace sur les peuplements autochtones, il suffit pour cela qu'ils s'échappent et colonisent leur nouveau territoire. On en reparle un peu plus tard…

Mammifères

Les plans d'eau font partie du biotope des rats musqués Ondatra zibethicus et ragondins Myocastor coypus.

 

Rats musqués, Ondatra zibethicus : Rongeur aquatique originaire d'Amérique du nord, il est végétarien et s'abrite dans des terriers qu'il établit dans les berges.[…] Le creusage de tunnels et la récolte de plantes pour l'alimentation déplacent les sédiments. Lorsque les sédiments se déplacent, la turbidité de l'eau augmente et des éléments nutritifs y sont libérés. La turbidité réduit la limpidité de l'eau […]. La libération d'éléments nutritifs dans l'eau mène à une prolifération indésirable des algues. Le percement de tunnels peut aussi entraîner des fuites et l'érosion des berges de l'étang. Le rat musqué est également porteur de parasites intestinaux comme le lamblia et le cryptosporidium, qui causent des maladies. La consommation d'eau infectée par le lamblia peut causer la giardiase, une diarrhée grave chez l'humain. La cryptosporidiose est causée par l'organisme cryptosporidium. Cette maladie peut aussi causer la diarrhée, parfois sanglante, des infections sanguines graves et même la mort. […]

Extrait de la page web : www.agr.gc.ca : site de l'Administration du rétablissement agricoles des Prairies, au Canada.

Ragondins Myocastor coypus : Rongeur aquatique originaire d'Amérique du sud. Fouisseur, il creuse ses terriers dans les berges. Les galeries atteignent régulièrement 3 à 4 mètres de longueur, elles fragilisent gravement les berges, les ouvrages hydrauliques transperçant les digues et déchaussant les ponts et barrages. Il semble occuper une place prépondérante dans la transmission de maladies transmissibles à l'animal et à l'homme, dont la « leptospirose ». Cette maladie infectieuse est due à des bactéries « leptospires » qui sont excrétées avec l'urine et se propagent sur le réseau hydrographique (vie de la bactérie de plusieurs semaines dans l'eau). Le risque de contamination chez l'homme s'opère par les muqueuses ou les plaies. La période d'incubation est d'environ 15 jours.

Glissement typologique

On l'a déjà vu dans les articles des deux numéros précédents ayant trait au fonctionnement de la Vire, les cours d'eau déploient depuis leur source jusqu'à l'estuaire un panel structuré de peuplements animaux et végétaux répondant aux facteurs du milieu : température de l'eau, taille du système, vitesse du courant, etc. Elles sont généralement données par leur population caractéristique : zone à truite, zone à ombre, zone à barbeaux, etc.

A partir de ces unités de peuplement, les progrès dans la connaissance en matière d'hydroécologie ont permis de détailler très précisément pour chaque région biogéoclimatique un type de séquence propre, que l'on peut étudier, suivre et interpréter. Chez nous comme ailleurs, la longue chaîne de l'évolution a sélectionné des types de peuplements autochtones, organisés selon une succession de zones très finement imbriquées, "fondues" les unes aux autres, on dit que c'est un continuum d'espèces, qui se déploie de la source jusqu’à l’estuaire.

L'analyse des paramètres physiques (température, minéralisation, largeur du cours d'eau...) en un point précis de la rivière permet de calculer pour la zone considérée un "niveau typologique théorique", c'est-à-dire classer la portion de la rivière dans le continuum et prédire les espèces devant s'y trouver et celles qu'il serait anormal d'y rencontrer.

L'analyse des populations en place (inventaires scientifiques) donne le "niveau typologique observé" : types d'espèces présentes, abondances absolues (comptages) et abondances relatives (quantité par rapports aux autres espèces présentes). Dans un milieu conforme, c'est-à-dire en bonne santé, les deux résultats sont concordants : ils donnent la même chose, ce qui est trouvé est ce qui avait été prédit. Depuis quelques dizaines d'années, on observe des systèmes pour lesquels la comparaison des deux valeurs révèlent un déséquilibre : la typologie observée ("ce qui est") se trouve plus basse, c'est à dire caractéristique d'un secteur plus proche de l'estuaire, que la typologie théorique ("ce qui devrait être").

La prolifération des plans d'eau sur un bassin versant participe directement à ce phénomène. Réchauffement thermique de l'eau, surcharge en MES, introductions d'espèces exotiques ou évasion d'espèces typiques de milieux stagnants, dénaturent les peuplements du secteur sous influence du plan d'eau, et à plus grande échelle créent une remontée des espèces sensibles aux dégradations du milieu vers les sources, repoussées et remplacées par des espèces polluo-tolérentes.

Pour les pêcheurs, cela se traduit, par exemple, par des carpes en première catégorie, des brochets à Villedieu, de plus en plus de perches sur les ruisseaux à truitelles : tout un petit monde échappé ou non des pièces d'eau de particuliers qui s'adapte dans leur nouveau milieu pour continuer leur vie.

L'autre exemple bien connu est la propagation du chevaine, espèce opportuniste qui gagne du terrain à la faveur du réchauffement des eaux. On en a ainsi retrouvé pour la première fois en pêche d'inventaire en 2005, sur la Saire médiane qui en était exempte jusque là. Ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas d'une prolifération subite et agressive d'une espèce sur le milieu, mais bien d'une réponse écologique de ce même milieu à la modification de sa nature propre : des conditions de vie qu'il offre (le biotope) ont changé, le peuplement animal et végétal (la biocénose) suit.

A l'inverse, les espèces sensibles se réfugient très en amont, pour trouver les conditions qui leur sont propices ou nécessaires. Les écrevisses pieds blancs ne se trouvent plus guère qu'en tête de certains bassins restés préservés, et encore souvent à l'état de relique de populations. Moins visible et moins connu, le processus est identique sur la macrofaune du fond des cours d'eau : insectes, vers, arthropodes en tous genres bougent et migrent. Tout commence au niveau même du micro habitat. Prenons la mouche de mai en illustration : éphémère du genre Ephemera, elle est élective des substrats détritiques lentiques, c'est-à-dire le sable et les limons bien oxygénés sous des courants lents. Réchauffement et colmatage aidant, elle quitte son habitat favori pour trouver refuge et oxygéner ces belles branchies plumeuses sur des territoires plus courants, mais elle y perd en efficacité. C'est le premier signe de sa disparition d'une station.

La faune change de place, déménage pour monter d'un étage dans la rivière, ou disparaît carrément. Les peuplements glissent vers la source (on appelle ça le glissement typologique), et en un point géographique donné, les espèces autrefois attrayantes pour la pêche sont remplacées par des plus banales.

Impact hydraulique

L'idée qu'un plan d'eau permet une meilleure rétention de l'eau par retenue sur un bassin versant est fausse. Cela ne stocke pas l'eau pour la restituer en période d'étiage, non, bien au contraire, le bilan est défavorable, car l'insolation offerte par la surface calme produit une évaporation intense. Pour les étangs creusés à flanc de colline des pays à sous-sol cristallin (granit, schiste) on peut créer de petites modifications des niveaux de la nappe phréatique (celle qui est juste sous nos pieds), par l'effet de rabattage vers le point bas créé. Toute proportion gardée, c'est l'effet recherché lors du forage d'un puits, et c'est la raison qui fait se tarir un vieux puits si l'on en ouvre un nouveau non loin, plus profond.

Rappelons que la seule entité géomorphologique capable de participer efficacement au soutien d'étiage en période sèche, puis comme un écrêteur de crue en période de fortes pluviométries, sont les zones humides : marais, tourbières, fonds de prairies hydromorphes (celles avec des joncs et autres plantes signes de sols détrempés). L'eau y est conservée fraîche, durablement stockée et lentement restituée au milieu courant en période sèche.

La création de plan d'eau en zone humide est considérée, à juste titre, comme une destruction de zone humide, ce sont deux fonctionnements très différents.

Du tracas à l'usage

Vidanges

L'étang creusé, son propriétaire aura la joie de voir la vie se développer, les poissons prospérer. Ca dure un temps, car l'étang s'enrichit, se comble, plus ou moins gentiment. Un beau jour, généralement de printemps, après 6 à 8 années paisibles dans la majeur partie des cas, le propriétaire subit la déconvenue d'une prolifération de végétaux fixés, d'algues macroscopiques ou microscopiques mais abondantes : des inflorescences, qui vont le contrarier dans les usages qu'il avait de son eau dormante. Qui ne pourra plus pêcher, qui ne supportera plus l'aspect visuel de cette "soupe", qui sera incommodé par la puanteur. Après bien des tentatives et la recherche de la solution miracle, éventuellement la courte satisfaction d'expédients retardant l'inéluctable, il faudra tôt ou tard se rendre à l'évidence : une vidange s'impose. C'est d’ailleurs ainsi que sont gérés les plans d'eau destinées à la production piscicole extensive, comme en Brenne, ou plus intensive comme en pisciculture. Tous les 6 à 8 ans, les étangs sont vidangés, aux besoins curés, parfois chaulés pour désinfecter et régénérer la structure mécanique du substrat de fond, puis après une période d'assec variable, remplis à nouveau. Sans ces vidanges, les bassins seraient vite improductifs.

Et là, avec l'évacuation de l'eau, les soucis commencent, l'opération est à risque, car délicate. Il va falloir éliminer les boues accumulées, les "exporter". Une partie sera remise en suspension pendant la vidange avec le débit d'eau, la conséquence en aval sera une franche désoxygénation de l'eau le temps du passage du flux, un colmatage des fonds dont les effets seront bien plus longs, le risque de laisser s'échapper des espèces malvenues dans le cours d'eau, voire interdites d'introduction. On s'expose dès lors à enfreindre la loi sur l'eau et la loi pêche à plusieurs titres et à devoir en assumer les conséquences matérielles et pécuniaires.

Bien évidemment, cette opération requière une autorisation administrative.

Entretien

Sortie des entretiens lourds du type de celui de la vidange, divers évènements après la création d'un plan d'eau peuvent conduire à des désagréments.

Pour les eaux libres, il faut régulièrement contrôler les débits d'alimentation, pour rester dans le cadre de la réglementation, permettre un renouvellement essentiel à l'alimentation et à l'équilibre de la pièce d'eau (au détriment des milieux captés et récepteur), tout en contrôlant au maximum les intrants afin de limiter le comblement prématuré.

Une prolifération, ou à tout le moins une production efficace de végétaux supérieurs, de plantes aquatiques, nécessitera un faucardage, opération toujours assez malaisée pour un particulier.

Signalons l'attaque des berges par les terricoles : les ragondins et rats musqués percent les digues, leur limitation est difficile et leur élimination complète, illusoire. Les écrevisses rouges de Louisiane fragilisent les berges en y creusant des galeries : risques de fuites, danger pour les personnes et l'ouvrage. Heureusement, nos hivers normands suffisent encore à l'empêcher de s'implanter dans notre région.

On génère ses propres ennuis

Les oiseaux piscivores trouveront là un garde manger bienvenu. Hérons et cormorans, pour les plus emblématiques, auront tôt fait d'évaluer et de choisir entre les rapports : [coût énergétique / gain énergétique] d'un cours d'eau tumultueux et celui d'un étang tranquille… Nul doute que ces espèces sauront être efficaces sur vos poissons acculés dans un milieu écologiquement banal et reclu. La cause de leur venue ne sera jamais leur gloutonnerie malveillante, mais l'opportunité que vous leur aurez fabriquée.

Que le système s'emballe, et le cycle nuisance — entretien — autorisation administrative — coût d’entretien/réparation, s'engage.

Règlementation

Si la police de la pêche ne s'applique que sur les eaux libres et épargne les eaux closes, la police de l'eau regarde les deux classifications. Les travaux ayant pour objectif de créer ou d'entretenir un plan d'eau sont susceptibles d'être soumis à déclaration ou à autorisation auprès de l'administration en charge de la police de l'eau et de la pêche, c'est-à-dire un dossier "Loi sur l'eau". Suit la reproduction de la synthèse des nouveaux textes (Articles L.214-1 et L.214-3 du Code de l'Environnement, avec les décrets d'applications 93-742 et 93-743), effectuée par la Mission InterService de l'Eau de la Manche, en italique dans le texte :

Création de plan d'eau

Les plans d’eau en barrage de cours d’eau ne seront pas autorisés dans le département de la Manche.

3.2.3.0 : Plans d'eau :

1° Dont la superficie est supérieure ou égale à 3 ha.................................................................. Autorisation

2° Dont la superficie est supérieure à 0,1 ha mais inférieure à 3 ha...................................... Déclaration

3.3.1.0 : Assèchement, mise en eau, remblais de zones humides ou de marais, dont la superficie est :

1° Supérieure ou égale à 1 ha........................................................................................................ Autorisation

2° Supérieure à 0,1 ha, mais inférieure à 1 ha............................................................................ Déclaration

Attention : si les rubriques suivantes sont intéressés par les travaux, un plan d’eau, même de faible superficie, peut être soumis à autorisation ou à déclaration.

1.2.1.0 : Les prélèvements, y compris par dérivation, dans un cours d'eau :

1° Supérieur ou égale à 1 000 m3/heure ou à 5 % du débit (QMNA 5) du cours d'eau...... Autorisation

2° Compris entre 400 et 1 000 m3/heure ou entre 2 et 5 % du débit (QMNA 5) du cours d'eau Déclaration

Le QMNA 5 est le débit moyen du mois le plus sec et de récurrence cinq ans.

3.1.1.0 : Installations, ouvrages, remblais et épis, dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant :

1° Un obstacle à l'écoulement des crues...................................................................................... Autorisation

2° Un obstacle à la continuité écologique :

a) Entraînant une différence de niveau supérieure ou égale à 50 cm entre l'amont et l'aval de l'ouvrage Autorisation

b) Entraînant une différence de niveau supérieure à 20 cm mais inférieure à 50 cm entre l'amont et l'aval de l'ouvrage Déclaration

La continuité écologique des cours d'eau se définit par la libre circulation des espèces biologiques (poissons, invertébrés, écrevisses) et par le bon déroulement du transport naturel des sédiments.

3.1.2.0 : Modification du profil en long ou du profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de la dérivation d'un cours d'eau :

1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m......................................... Autorisation

2° Sur une longueur de cours d'eau inférieure à 100 m............................................................ Déclaration

Le lit mineur d'un cours d'eau est l'espace recouvert par les eaux coulant à pleins bords avant débordement.

 

- Les Prescriptions à respecter -

Lorsqu’un plan d’eau est soumis à autorisation ou à déclaration en fonction des rubriques décrites précédemment, des prescriptions générales s’appliquent et doivent être respectées par les pétitionnaires. Les prescriptions sont les suivantes :

  • Le plan d’eau doit se situer à 10 mètres minimum de la berge du cours d’eau (à 35 mètres pour les cours d’eau de plus de 7,50 mètres de largeur).
  • Si des digues sont établies, elles doivent l’être conformément aux règles de l'art, de façon à assurer la stabilité des ouvrages et la sécurité des personnes et des biens. Elles doivent comporter une revanche minimale de 0,40 mètres au-dessus des plus hautes eaux. Aucune végétation ligneuse ne doit y être maintenue.

Les services d’un bureau d’études peuvent être exigés par l’administration

  • Le remplissage du plan d’eau à partir des eaux d’un cours d’eau doit avoir lieu en dehors de la période allant du 15 juin au 30 septembre. Il doit être progressif de façon à maintenir à l’aval du plan d’eau un débit minimal permettant la vie, la circulation et la reproduction des poissons. Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du débit moyen du cours d'eau.
  • Le dispositif de prélèvement des eaux doit être réalisé de façon à pouvoir réguler le débit entrant dans la limite du prélèvement autorisé et à pouvoir l’interrompre totalement. Ce dispositif devra également maintenir dans le cours d'eau un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivantes.
  • Le rejet : Les eaux restituées au cours d’eau ne doivent pas réchauffer les eaux de plus de 0,5°C entre le 15 juin et le 15 octobre. De plus, les eaux rejetées doivent être dans un état de salubrité et de pureté proche de celui du cours d’eau naturel.
  • Obligation de remise en état en cas d’abandon et d’absence prolongée d’entretien du plan d’eau.

 

Vidange de plan d'eau

3.2.4.0 : Vidanges de plans d'eau :

Dont la superficie est supérieure à 0,1 ha.................................................................................... Déclaration

A l’exception des plans d’eau alimentés par la nappe phréatique, les plans d’eau doivent pouvoir être entièrement vidangés. Un dispositif de vidange et de trop-plein doit donc être prévu pour les plans d’eau alimentés par les sources ou par prise d’eau sur un cours d’eau.

Un système de type « moine » ou tout procédé équivalent est obligatoire. Ce système doit permettre la maîtrise et la régulation des débits, et surtout la surverse des eaux du fond et ainsi limiter le départ des sédiments.

Le système de vidange doit être suffisamment dimensionné pour permettre la vidange de l'ouvrage en moins de dix jours en cas de danger grave et imminent pour la sécurité publique, et ceci en tenant compte des apports par le ruissellement et les précipitations, sans causer de préjudice aux personnes et biens situés à l'aval.

Avant toute vidange, une déclaration doit être déposée au préalable dans les services de la DDAF 50.

La vidange d’un plan d’eau est interdite du 1er décembre au 31 mars pour les plans d’eau dont les eaux s’écoulent directement ou non dans un cours d’eau de première catégorie piscicole.

Les services de la DDAF 50 doivent être informés au moins 15 jours avant la date de début de la vidange et du début de la remise en eau.

Les eaux restituées ne doivent pas nuire ni à la vie du poisson, ni à sa reproduction, ni à sa valeur alimentaire.

Les poissons présents dans le plan d’eau doivent être récupérés et ceux appartenant aux espèces dont l’introduction est interdite doivent être éliminés.

Le curage du plan d’eau : La destination des matières de curage doit être précisée dans la déclaration de vidange du plan d’eau et ne devra pas concerner une zone inondable. La composition des matières de curage doit être compatible avec la protection des sols et des eaux, notamment en ce qui concerne les métaux lourds et autres éléments toxiques qu'elles peuvent contenir.

Introduction d'espèces

Est puni d'une amende de 9 000 euros le fait :

1°) D'introduire des poissons appartenant à des espèces susceptibles de provoquer des déséquilibres biologiques :

  • - Les poissons-chats et les perches soleil ;
  • - Les crabes chinois ;
  • - Toutes écrevisses autres que les écrevisses à pattes rouges, les écrevisses des torrents, les écrevisses à pattes blanches et les écrevisses à pattes grêles ;
  • - Toutes grenouilles autres que les grenouilles des champs, les grenouilles agiles, les grenouilles d’Honnorat, les grenouilles vertes de Linné, les grenouilles de Lessone, les grenouilles rieuse et les grenouilles rousse.

2°) D'introduire sans autorisation des poissons qui ne sont pas dans la liste suivante : (non disponible encore).

3°) D'introduire dans les eaux classées en première catégorie, des poissons des espèces suivantes : brochet, perche, sandre et black-bass.

4°) D'introduire pour rempoissonner ou aleviner des poissons qui ne proviennent pas d'établissements de pisciculture ou d'aquaculture.

 

 

 

Conclusion

Souvent considérée comme un acte de diversification écologique, la création de plan d'eau est une problématique environnementale majeure. Exceptés dans le cas particuliers des régions où il existe historiquement un tissu socio économique autour de leur exploitation, comme en Brenne, ces pièces d'eau artificielles ne doivent pas être envisagées autrement que comme une aire de loisir, un peu comme le sont les golfs. Si l'usage qui en est fait peut se justifier, leur prolifération fait peser une menace importante sur le reste du réseau hydrographique, que se soit en terme de ressource en eau ou en terme de qualité des milieux. C'est ce qui justifie la réglementation contraignante relative à leur creusement et à leur entretien.